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Le blog de ACHILLE - Chroniques Notariales

un clerc divorcé qui se noie dans les problèmes de divorce de ses clients

TROP TARD

 

Le journal arrive le matin, remis par le petit clerc à mon patron. Celui-ci lit d’abord les pages des sports ainsi que la rubrique nécrologique. Le moral du comptable est calqué sur l’indice du CAC quarante ; la bourse est sa page favorite. Ma secrétaire prend les recettes de cuisine, la standardiste les mots croisés ou les sudokus. La « clérette[1] » lit son horoscope. La plupart de mes collègues lisent les faits divers. De mon côté, je m’en tiendrais à la page de politique internationale et à la page culturelle, si toutefois j’arrivais à les lire jusqu’au bout. Aussi, n’ai-je pas compris ce soir quand ils m’ont tous assailli de questions après la visite d’une nouvelle cliente.

-         Alors, raconte-nous tout.

-         Qu’est-ce qu’elle voulait ?

-         Comment le prend-elle ?

-         Lui as-tu remonté le moral ?

-         Dis, tu l’as consolée, tu ne lui as pas raconté toutes tes horribles anecdotes ?

-         Elle était en rage, non ?

-         Elle sait des choses ?

-         Elle t’a raconté les détails ?

-         Non, je ne sais pas, de quoi parlez-vous ? Comment la connaissez-vous ?

-         Oh arrête, ne fait pas ton crâneur, dis-nous.

-         Qu’est-ce qu’elle voulait ?

-         Elle voulait divorcer post mortem.

-         Elle voulait quoi ?

-         Elle voulait savoir s’il existe un divorce posthume de même qu’il existe un mariage posthume, c’est tout. 

-         Ah oui je comprends. Elle craque. 

-         Je ne sais pas, elle ne m’a rien dit du tout. Qu’avez-vous, tous, pourquoi avez-vous l’air aussi déçu ? Que devait-elle me dire de si mystérieux, si important ? 

-         Rien, rien… 

-         Alors pourquoi vous attendiez-vous à quelques détails croustillants ? Comment cela se fait-il que vous vous intéressiez à elle ? Moi, je ne la connais pas. 

-         Bê, on voulait en savoir un peu plus que ce qui est marqué dans le journal.

-         Qu’est-ce qui est marqué dans le journal ? 

-         Tu ne l’as pas lu ? 

-         Son mari a tué sa maîtresse puis s’est suicidé, en haut de la tour du centre-ville, dans l’ascenseur, entre le troisième et le quatrième étage. 

-         Vous avez donc les détails, de quoi vous plaignez-vous ? 

-         Dis-nous quand même, tu l’as consolé, que lui as-tu dit ? 

-         Rien d’intéressant.

Je lui ai dit que j’étais désolé mais qu’il n’existe rien de tel, on ne peut divorcer de son mari décédé, que quoi qu’il en soit, elle n’avait pas intérêt à divorcer avec ses enfants mineurs, elle avait au contraire intérêt à faire valoir tous ses droits. Heureusement, je ne connaissais pas son histoire, je ne suis pas sûr que j’eus réussi à être naturel. La journée a été longue. Il est tard, je suis vraiment usé, j’ai les yeux bordés d’anchois. Je rentre, j’ai envie d’un bon bouquin. Comme disait mon père, demain sera un jour nouveau.

* * *



[1] Il n’existe pas de mot pour désigner un clerc de notaire au féminin.

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