LA PEINE.
- Hier nous avons fait l’amour. C’était bien.
Dimanche matin, en rentrant du marché, entre deux tomates cerise :
- Il faut que je te dise. J’ai mûrement réfléchi. J’ai décidé de te quitter. Tu sais que je n’ai pas l’habitude de raconter mes sentiments et tout le tralala mais il fallait que je te donne le résultat de mes recherches. Je te le devais.
- Tu rigoles, excuse-moi, mais nous ne sommes pas le premier avril.
- Non, je suis sérieux.
- Mais pourquoi ? Pour quelle raison ? Qu’ai-je fait qui ne te convient plus ?
- Rien du tout, bien au contraire, je t’aime et je ne veux pas te faire de mal alors je m’en vais.
- Mais qu’est ce que tu racontes, tu n’es pas un espion ou un tueur à gage.
- Ce n’est pas ça, c’est drôle que tu penses cela, je ne parlais pas de te mettre en danger. Tu m’as dit un jour qu’on était ensemble du début à la fin pareillement, qu’on se devait fidélité etc. Alors je m’en vais.
- Attends un peu toi, tu me trompes ? Tu en aimes une autre ?
- Je ne sais pas si je l’aime, je suis tombé amoureux d’elle, elle m’intéresse, elle me plaît.
- Mais si tu m’aimes, tu n’as pas envie de lutter pour oublier cette envie ? de continuer avec moi ? Qui est cette fille ?
- Cela fait des mois que cela dure. Elle m’attire et je l’attire aussi, j’ai envie d’en savoir plus, alors je m’en vais.
- Mais c’est de la lâcheté, juste par curiosité, tu nous quittes ? La maison, les enfants, moi, le chien, cela ne va pas ?
- Calme-toi. Je suis lâche si tu le vois à ta façon. De mon côté, je trouve que je suis passablement courageux d’avoir attendu des mois malgré ce qui me tenaillait, et de tout quitter sans avoir essayé, juste pour ne pas te tromper, te mentir. Ne pleure pas, cela ne fait que rendre les choses plus difficiles.
- Plus difficiles pour qui ? Es-tu en train de me faire découvrir ton côté inhumain ?
- Arrête s’il te plaît. On en reparlera plus tard. Je fais le repas.
- Mais tu crois que tu vas y échapper comme ça. Qu’est-ce que c’est que cette histoire à dormir debout ?
- Tu m’as toujours demandé d’être honnête, je le suis et tu hurles. Cela me conforte dans mon opinion, il faut que je parte.
- Mais as-tu pensé à ton fils ?
- Oui, bien entendu. C’est à cause de lui aussi que j’ai tant attendu mais je ne peux plus, je lui ferais du mal, je lui en voudrais de me prendre ma liberté, il ne serait pas heureux, il le sentirait. Je comprends que ce n’est pas à toi d’assumer, je te fais assez de mal comme cela. Je peux garder notre fils si tu veux. Dis-moi ce que tu désires.
- Je te veux, toi.
- Mais tu m’as. On sera toujours amis, peut-être même qu’on sera encore amoureux si je reviens et que tu veux de moi, mais là, il faut que je parte.
- Tu as besoin de faire ta crise d’adolescence. Expérimenter une nouvelle vie, sans enfants, sans contraintes, c’est ça.
- Pas du tout. Peux-tu arrêter de fumer ?
- Non. Mais pourquoi me demandes-tu cela ? C’est à cause de …
- Non, ce que je veux dire, c’est que je dois aller vers elle comme toi tu te dois à la cigarette.
- Ce n’est pas de l’amour !
- Pour l’instant non, juste de la curiosité, une curiosité insatiable.
- Tu nous quittes juste pour satisfaire ta curiosité.
- Si tu veux, tu peux simplifier le débat, la curiosité est un vilain défaut.
- Mais tu n’as jamais été curieux de moi.
- C’est l’idée que tu t’en fais. Je connais tout de toi, c’est vrai, je n’éprouve plus cette curiosité, mais j’ai mis quelques années pour faire ta découverte et je t’en remercie, même si je ne partage pas tous tes goûts. Dorénavant, c’est d’elle que je suis curieux. Je veux connaître le poids de sa chevelure, le grain de sa peau, son parfum, ses dessous, la lourdeur de ses paupières, ses meubles, ses idées, ses lectures…
- Arrête. Ne dis pas que tu ne connais pas déjà le goût de ses lèvres.
- Je te jure que non. J’ai lutté, je t’assure. Car je t’aime, toi je te connais par cœur, je connais ton rire, tes clins d’œil, la réaction tactile de tes seins, les sons gutturaux de ton plaisir, ta musique, c’est agréable aussi, surtout confortable. C’est extraordinairement doux de savoir qu’on peut compter sur quelqu’un qui nous aime et qu’on aime, sur son âme, son corps, ses pensées. Je te remercie mille fois. Et je ne te remercierai jamais assez de tout ce qu’on s’est donné et de tout ce que l’on a reçu, justement je ne veux pas salir cela. Je ne vais pas me mettre au bromure comme les moines ou m’enfermer dans l’atelier tout le reste de ma vie. Comment faire ? J’ai retourné le problème dans tous les sens, je ne vois pas d’autres solutions. Qu’en penses-tu ?
- Déménageons, change de travail.
- Je n’ai pas envie du tout, j’aime mon travail, ma vie ici, je n’ai rien à fuir. Et elle ne déménagera pas.
- Mais si, tu peux la fuir. Je t’y aiderai.
- J’ai bien peur de penser à elle jusqu’à la folie si j’en suis privé.
- Je vais la tuer !
- Ne te fais pas plus méchante que tu n’es. Ne donne pas cette moue aigrie à ta jolie bouche.
- Prends encore un peu de temps, réfléchis encore, on ne sait jamais, elle n’est peut-être pas si bien que cela.
- Te rends-tu compte que tu me pousses à l’adultère !
- Tu ne me trompes pas puisque tu me dis que tu m’aimes et que l’on ne se cache rien.
- Tu en seras malade et je te dégoûterai.
- Non je ne crois pas, et si cela arrivait, ce serait un bon moyen pour que finalement, je vois d’un bon œil cette séparation.
- Je pense qu’en plus tu deviendrais jalouse.
- Non.
- Si bien entendu.
- Mais comment s’en sortir alors !
- J’ai vu une psy qui m’a dit de te tromper. Un autre m’a dit de te quitter. Une autre m’a donné des médicaments qui n’ont fait aucun effet. Une dernière m’a dit de tout te dire. Finalement, je te dis tout et je te quitte. J’ai terriblement peur que tout ceci soit irréversible. Mais je me sens déjà mieux de te parler, de ne plus te mentir.
- Tu veux dire que tu restes, attends un peu, cela va changer encore dans tes pensées, maintenant que tu t’es ouvert à moi de ton fantasme.
- Je voulais juste dire que je suis un peu moins malheureux. En tout cas, ce n’est pas un fantasme, c’est une réalité.
- Tant que tu n’as pas essayé c’est un fantasme. Vraiment, tu ne veux pas essayer avec cette fille avant de partir ?
- Tu te rends compte…
- Oui, je me rends compte et alors ? C’est entre nous, cela ne regarde personne.
- Essaie d’imaginer, je ne rentre pas lundi soir, et je reviens mardi à l’heure du dîner. Tu me feras l’amour comme si de rien n’était ? Tu iras vers moi spontanément ? Et puis cela la regarde aussi, je n’ai pas non plus envie de la tromper elle, et je n’ai pas envie de paraître un lourdaud qui veut tirer un coup. Tu imagines, notre peine à tous les trois ?
- Mon dieu, mon dieu, laisse-moi un peu de temps s’il te plaît ! Il y a sûrement une solution.
- Cela fait des mois que je cherche. Il n’y en a pas d’autres.
- Mais c’est enfantin de réagir comme cela, selon ses pulsions.
- Enfantin ? Soit. Cependant, la critique est aisée, l’art est difficile. Essaie s’il te plaît quelques minutes de te mettre à ma place. Que ferais-tu ?
- Je ne sais pas ce que je ferais si j’étais toi, mais ce que je sais c’est que là tout de suite, j’ai envie de casser quelque chose.
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Amélie 12/06/2020 03:28
Carlos 19/04/2020 10:18
Stéphane 24/03/2020 10:57
CLARA JAMES 18/02/2020 23:40
Maître Magni 04/01/2020 06:20