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Le blog de ACHILLE - Chroniques Notariales

un clerc divorcé qui se noie dans les problèmes de divorce de ses clients

L’AMOUR PROPRE.

 

J’aime faire le marché. C’est ma première occupation du dimanche matin. Je choisis mes légumes, mes fruits, ma viande pour la semaine. J’ai aussi mon marchand de chaussettes et de slips préféré. Aujourd’hui, quelques petits artichauts bleus me tentent ainsi que de jeunes navets. Je me glisse dans la queue, anonymement, le chapeau enfoncé jusqu’aux sourcils. En effet, devant moi, une ancienne cliente évoque avec sa voisine le drame de sa vie, ce divorce qu’elle n’a toujours pas accepté. Je compatis à sa douleur en mon for intérieur.

Qu’entends-je ? Quelle interprétation farfelue ? Monsieur se serait accaparé la maison, le yacht, tandis que Madame devenait locataire d’un trois-pièces et devait se racheter une voiture !

Quelle injustice, quelle inégalité de traitement, les avocats, les notaires, tous des bandits qui trahissent l’épouse, ne s’occupant que du mari fortuné. « Ma pauvre dame, renseignez-vous bien avant sur vos droits, car vous serez flouée si vous leur faites confiance, regardez-moi, ils m’ont mise sur la paille ! »

Dans un élan d’amour-propre, j’ai fort envie de faire éclater la vérité au grand jour, de dénoncer la véritable menteuse qui se cache sous des habits d’honorabilité. Je ne suis pas Zorro, je suis tenu au secret professionnel. Je m’étoufferai donc dans ma rage, je ne mangerai pas d’artichauts, me contentant de vulgaires pommes de terre. Je m’éloigne bougonnant tout seul. 

La communauté d’entre ces clients était composée uniquement d’une petite maison dans un village de la région, grevée d’un emprunt total accordé par le Crédit Agricole, sur vingt ans, dont presque rien n’avait été remboursé depuis l’achat, d’une voiture usagée dont la boîte de vitesse était au tableau de bord, que Madame ne savait pas conduire, et d’un bateau pneumatique semi-rigide, gonflable à moteur. Madame, ne sachant pas nager, détestant le lac qu’elle accusait d’être un « coin à moustiques », avait laissé à Monsieur l’usage de ce bateau. Monsieur s’était effectivement vu attribuer ces trois biens, pour une valeur brute d’environ cent cinquante mille euros, mais avait pris en charge le passif et les frais notariés, d’un montant d’environ cent trente mille euros, il avait versé à Madame dix mille euros en empruntant auprès d’un organisme de crédit à la consommation, aucune autre banque n’ayant voulu lui prêter, étant donné son taux d’endettement très important.

Madame, dont le salaire était comparable à celui de Monsieur, n’avait pas voulu conserver la maison, car elle ne voulait pas « se priver jusqu’à la fin de ses jours pour rembourser le crédit », avait retrouvé un compagnon très gentil qui l’hébergeait chez lui. Madame ne voulait pas cependant que la maison fût vendue, pour que les enfants puissent en profiter, même en hériter plus tard ! Son époux avait donc décidé de la conserver. 

Les rumeurs qui se répandent sur les marchés ne sont pas toujours dénuées de fondement, cependant quelques correctifs doivent parfois y être apportés.

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